Croisement de regards (un article de Virginie Renson)

À la Galerie Blaesart vous pouvez encore, jusqu’au 25 juin, voir une exposition originale à plus d’un titre. 

Non pas parce qu’elle réunit 4 artistes femmes, les collectifs de ce genre sont monnaie courante aujourd’hui et, d’ailleurs, souvent revendiqués comme tels. L’exposition n’aurait donc pas pu s’intituler 4 Femmes.

Pas non plus parce que vous aurez l’occasion d’y voir des peintures et des sculptures, croisement artistique tout aussi fréquent dans les dispositifs actuels. L’exposition n’aurait donc pas pu s’intituler Peintures et sculptures !

Mais alors, me direz-vous pourquoi faire l’effort de vous rendre au 134 de la rue Blaes pendant ces chauds week-ends de juin, au-delà du plaisir (bien réel) de prendre l’ascenseur qui vous offre une vue imprenable  sur la capitale ? 

Parce que l’exposition s’intitule 4 regards. Et que le regard constitue l’identité de l’artiste.

J’emprunterai à Amélie Haut cette réflexion: « Peindre ou sculpter c’est donner à voir une réalité transformée par le regard personnel que l’artiste a posé sur elle, (trans)poser l’image entraperçue sur la toile ou dans la glaise ».  Et c’est bien de réalité transposée dont il s’agit car les 4 artistes, ont chacune une manière de traduire leur vision du monde.

Parlons art d’abord.

C’est le monde extérieur qui attire Jado Jacqmart. La rue. La plage. Le parc. Leur mouvement incessant, leur animation. Ici, des chiens patients attendent que des maîtres pressés prennent le train, traversent une rue, lancent une balle ou se jettent à l’eau. Ce n’est pas pour rien que Jado Jacqmart privilégie l’acrylique, une matière qui sèche vite et qui réclame donc une sûreté du geste au moment de placer la touche de couleur, une vitesse d’exécution pour une immédiateté du résultat. Celui qui donne l’impression de l’instantané photographique, du mouvement capté, en suspens. Qui crée l’envie presque irrépressible « d’entrer dans la toile ».

Tout le contraire chez Muriel Jongen qui propose des moments suspendus de vie quotidienne, des scènes d’intérieur apaisées, lumineuses, presque surannées dans leur intemporalité. Ce qui séduit ici c’est la palette de couleur, la lumière qui se dégage du contraste avec les ombres bien marquées. Face au petit nombre de toiles exposées  le/la visiteur·se voudrait  découvrir plus avant l’univers de Jongen dans des formats plus grands ou des scènes plus contemporaines.

On retrouve cette même envie de révéler l’intimité de moments secrets dans les sculptures de Patricia Debaerdemacker . Des corps de femmes, fluides et gracieux, presque graciles, dévoilés dans des moments très privés, secrets : le sexe, la maternité, le bain, … La technique très maîtrisée de la ronde bosse décuple le plaisir du regard qui enveloppe d’une caresse visuelle les moindres détails de l’instant représenté.

Au bout de la galerie, comme dans un cocon, une sorte de cabinet de curiosité, des toiles qui forment un bel ensemble. Mais une petite  déception viendra sans doute de cette  dernière partie où Amélie Haut, tournant résolument le dos à ses périodes artistiques précédentes, s’enferme dans son processus de création de vanités. J’avais en 2019, à l’occasion d’une précédente exposition d’Amélie, souligné avec intérêt, à quel point elle était centrée sur la narration et le méta-discours autour de l’œuvre,  auxquels on pouvait adhérer ou pas. ici, il semble que, sans manuel de l’utilisateur, le/la visiteur·se n’a plus accès au sens réel de son travail. Haut maîtrise de mieux en mieux la technique de la peinture réaliste  et ses compositions sont sophistiquées, c’est certain. Mais peut-être faut-il voir dans sa démarche une illustration du propos lacanien affirmant que « La vie ne songe qu’à mourir. » Car il semble  que ce qui préoccupe désormais Amélie, c’est le regard intérieur et la parabole métaphysique , le discours sur l’humain, sa finitude. Son universalité, dit-elle.

Parlons donc d’humanité.

Car la réunion de ces quatre regards sur le monde, c’est avant tout une affaire humaine :   le projet de 4 femmes  aux pratiques artistiques différentes mais qui  partagent depuis plus de 10 ans des instants de création dans l’atelier, pour donner du sens. Un beau travail collectif où les différences de propos et d’approche se côtoient sans heurts et se font écho.

4 regards, une exposition à ne pas manquer pour l’originalité de son propos et des  forme proposées.

Galerie Blaesart

Jusqu’au 25 juin, du vendredi au dimanche

Pour le 25 juin, les artistes nous annoncent un beau finissage autour du verre de l’amitié de 11 à 15h.

Virginie Renson (Visual art critics)

Je remercie Virginie Renson pour cet article publié sur son blog de critique artistique et qu’elle m’autorise à reproduire ici. Amélie Haut

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.