Découvrir Les choses

De l’intérêt de peindre des choses, quelles qu’elles soient?

C’est la réflexion à laquelle l’exposition Les Choses, une histoire de la nature morte, vous invite au Louvre (Paris) jusqu’au 23 janvier 2023.

Il semble bien que, dès la préhistoire et de l’Antiquité à la Renaissance, en peinture, la représentation d’objets

soit surtout une manière de mettre en scène l’abondance, la richesse ou la cupidité du commanditaire de l’oeuvre, comme la Mosaïque avec poissons et oiseaux (Pompéi 1er siècle Av JC. ), ou Le marché aux poissons de Joachim Beuckelaer (1570), réinvité pour notre société actuelle par Erró dans son monumental collage de 1964, Foodscape. Mais l’accumulation finit malgré tout par avoir une signification morale « en creux » , orientée par la leçon d’ascétisme que diffusent au XVIème les Calvinistes radicaux.

Au XVIIème, peindre les choses est donc, aussi, une façon de s’éloigner radicalement de la peinture religieuse. C’est l’arrivée de ce que l’on va désigner sous le terme générique des « natures mortes » ce genre auquel j’ai consacré ici plusieurs articles (Rendre vie à la nature morte, Identité de la nature morte espagnole, entre autres). J’y rappelais comment le terme nature morte n’était pas figé selon les régions puisque l’aire anglaise ou néerlandaise parle plutôt de « still leven » ou « still life ». La France après avoir longtemps hésité entre vies reposées et natures inanimées finit pas opter pour au XVII ème pour nature morte. L’espagnol choisit bodegón en référence au lieu où se trouvent généralement ces objets inanimés, la cave.

Mais le XVIIème s’approprie aussi la nature morte pour la transformer en vanité, ce genre que j’apprécie particulièrement et que j’ai aussi traité ici. Dans les luxuriantes compositions comme Fruits et coquillages, 1623, de Balthasar van der Alst ou Nature morte aux légumes de Franz Snyders (1610) s’infiltrent, au deuxième regard, la décompostion des fruits, les feuilles rongées par les insectes ou un raisin tacheté que foule une mouche indifférente.

Il en va de même sur les somptueuses tables baroques (Nature morte de banquet avec vue sur paysage, 1645, de Jan Davidsz de Heem, ou Les cinq sens, 1627, de Jacques Linard ) chargées de symboles destinés à rappeler aux êtres humains la vanité de leur destinée. On découvre aussi, poursuivant pourtant le même objectif, un dépouillement d’une étonnante modernité dans les toiles épurées de Adriaen Corte (Nature morte aux asperges, 1697 , Six coquillages sur une table de pierre, 1696) ou de Juan Sánchez Cotán (Fenêtre, fruits et légumes,1602) .

C’est alors que le crâne apparaît. Et il ne cessera d’inspirer les artistes jusqu’à nos jours.

Après cet épisode, dès le XVIIIème, la nature morte poursuit son chemin avec toujours plus de force et le processus d’inspiration change avec le temps. Probablement Chardin (et, probablement, son mélancolique Pipes et vases à boire, 1737) a-t-il ouvert la voie pour Manet, Monet, Courbet et autres Cézanne qui, comme Goya, se sont illustrés dans le genre.

Les Ambitieux

Pourquoi peindre des natures mortes s’interroge Barthélémy Jobert dans l’excellent Dossier de l’art n°302 consacré à l’exposition. Peut-être pour l’aspect purement commercial? Pour un questionnement sur la forme? Par jeu pictural? Pour déboucher sur un renouvellement du genre? En tous cas, une chose est certaine: la nature morte qui était jadis considérée comme un sous-genre a , depuis le XIXème, conquis ses lettres de noblesse et apparaît désormais comme une essentielle représentation du monde qui mènera au XXème jusqu’à la révolte des objets et la dénonciation du consumérisme. Comme le très surprenant Les ambitieux de Konrad Klapheck (1959), destiné à montrer comment « investir les objets du quotidien d’une charge symbolique ».

L’exposition, construite chronologiquement, est organisée sous forme d’un dédale de petites salles qui s’enchassent les unes dans les autres comme pour mieux signifier le dialogue entre les oeuvres et les époques, ou de longs couloirs semblant correspondre aux moments de rupture. Impossible évidemment de rendre compte de toute l’exposition qui rassemble plus de 170 oeuvres. Puisqu’il faut choisir, outre les vanités évoquées plus haut, voici quatre instants phares de MA visite: le rapprochement entre le modèle Fruits et riche vaisselle de Jan Davidsz de Heem (1640) et la copie de Matisse; le tendre Agnus Dei de Zurbarán, quasiment égaré parmi les lièvres, les grives, les anguilles, ou les chats, morts eux aussi mais sublimés par Chardin, Houdon, Manet ou Courbet, sous l’oeil torve de la Cabeza de vaca (1984) de Andres Serrano…; l’impressionnante video intitulée Still life (évidemment) de Sam Taylor Johnson (2001) au cours de laquelle l’assiette de fruits se recouvre au fil du temps de poussières et de pourriture; l’intemporalité à la Rothko du crâne renversé dans le Skull de Gérard Richter (1983).

Voilà une visite indispensable pour ceux et celles qui s’interrogent sur le sens, la nécessité et les manières de représenter l’objet en peinture ou qui aiment les expositions où les toiles se font écho pour signifier ces réseaux ténus mais néanmoins tangibles dont se tisse l’inspiration. (CD)

Commissaire de l’exposition: Laurence Bertrand Dorléac, autrice de Pour en finir avec la nature morte (Gallimard, 2020), avec la collaboration de Thibaut Boulvain

Scénographie:
Guicciardini et Magni architectes ainsi que Massimo Iarussi architecte, Florence (Italie) et Alessandro Vicari architecte, Paris.

Musée du Louvre, Paris, jusqu’au 23 janvier 2023. Réservation conseillée

Ce texte est soumis à la loi sur la reproduction. Autorisation à demander à amelie.haut01@gmail.com . Crédits photos Amélie Haut

Nouveau Musée des beaux arts à Charleroi

Vendredi dernier avait lieu l’ouverture du Musée des Beaux Arts nouvelle formule de Charleroi, qui a pris ses quartiers dans les locaux des anciennes Écuries Defeld sur plus de 2000 m². Après 10 ans de rénovation des espaces, 3 ans de fermeture et un travail scénographique colossal, les cimaises du Musée offrent aux visiteurs un choix de la production picturale carolorégienne depuis le début du 20ème à nos jours. Certes 150 oeuvres parmi les 4000 en réserve c’est peu, mais cela laisse augurer d’une belle rotation des tableaux présentés. Il faut aussi souligner le choix original (et judicieux) d’un accrochage à hauteur du regard qui permet d’appréhender l’oeuvre presque comme en 3D.

Actuellement, dans leur nouvel espace tout blanc, antithèse d’un pays noir, dans les couloirs en enfilade ou au coeur de petites salles conçues comme des cocons, les oeuvres proposées illustrent le patrimoine de la région: de Magritte à Yves Villers , de Camus à Ransy, de Paulus à Verhaegen, du surréalisme à l’abstraction, du réalisme à l’imaginaire, des bords de Sambre aux carnavals régionaux… Probablement, comme l’a dit Paul Magnette dans son discours d’ouverture, pour redonner de la fierté aux habitants de cette ville qui, si longtemps, a été considérée comme la plus moche et la plus idiote du monde.

Une petite critique et un regret. Alors que les cartels identifiant les oeuvres exposées dans les couloirs sont bien placés et écrits (enfin) dans un lettrage suffisamment grands pour les lire sans difficulté ni lunettes, l’option choisie pour distinguer les productions dans les petites salles est celle d’un cartel général reprenant toutes les oeuvres de la pièce sur un seul présentoir. C’est confus, ça crée des va et vient inutiles et c’est frustrant. Un (petit) regret aussi : pas de Marcel Delmotte dans cette sélection, par ailleurs vraiment superbe. Dommage.

Une visite d’ouverture n’est jamais ni tranquille ni lente, mais elle a pu au moins donner l’envie de revenir à tous ceux et celles qui étaient là. (CD)

Petite sélection personnelle: Camus, Marcel Vintevogel, Berthe Dubail, Désiré Haine, Pierre Paulus, Jean Ransy, Yves Villers.

En ce moment, et jusqu’en juin 2023 , exposition temporaire pour le  centenaire des Éditions Dupuis, Dupuis : La fabrique de héros. 100 ans de 9e art au Pays noir, qui retrace un siècle de créations emblématiques.

Musée des Beaux-Arts – 67 Boulevard Pierre Mayence 6000 Charleroi

Ce texte est soumis à la loi sur la reproduction. Autorisation à demander à amelie.haut01@gmail.com . Crédits photos Amélie Haut

L’oeil gourmand. Isabelle Ravet expose.

Isabelle Ravet expose dans un impressionnant édifice du XIXème. Le visiteur doit donc, d’abord, se décider à entrer , franchir quelques escaliers, quelques étages d’ascenseur, pénétrer dans un univers de luxe évident et accepter la blancheur des murs avant de regarder. Pour cette exposition, les toiles d’Isabelle Ravet ne se laissent donc pas approcher au détour d’un passage dans une galerie.

Et peut-être est-ce justement cet espace superbe, cette enfilade de vastes pièces, ce décor à la modernité dépouillée, qui permet de comprendre au mieux l’évolution de l’art d’Isabelle Ravet. Exit les objets du quotidien présentés dans un souci de réalisme absolu et dans la perspective du trompe l’œil.

Désormais, on entre  dans un univers beaucoup plus complexe où des compositions chiadées côtoient des représentations presque brutes quasiment proches d’un certain minimalisme. Mais toutes sont mises en valeur pas une sorte de nouvel ascétisme chromatique qui donne son unité à l’ensemble.

Désormais, comme dans les natures-mortes ou les vanités des maîtres du XVIIème, ici, le regard peut ne pas s’arrêter pas à l’objet ; l’œuvre lui donne le pouvoir d’aller au-delà dans cet espace arrière ouvert sur l’obscurité de l’imaginaire, de  la dépasser, d’y entrevoir une symbolique.

Ce n’est pas pour rien qu’un des livres représentés par Isabelle Ravet porte comme titre « Anatomie de l’âme ». Il y a de cette évolution-là dans ses tableaux, tantôt presque abstraits, tantôt sophistiqués, tantôt rugueux, comme les tourments de l’âme en fin de compte.

On a dit souvent qu’Isabelle Ravet était la peintre du quotidien.  A mes yeux, elle est maintenant la peintre du quotidien sublimé et métaphorique.  Mais, si son œuvre change dans la forme, elle ne se départit jamais de son absolue élégance. (CD)

Exposition accessible 72 avenue de Tervueren à 1040 Bruxelles du lundi 21 et jeudi 24 novembre 2022 de 10 à 17h et en décembre 2022 à l’atelier de l’artiste sur rendez-vous (0477680244)