Quel meilleur endroit pour montrer des crânes et des os qu’un cabinet d’ostéopathe?
Dans le cadre du parcours d’artistes d’Ixelles 2023, Amélie Haut installera donc ses vanités chez Thibault Lugand, ostéopathe, au 323 Chaussée de Boondael! L’exposition sera accessible le samedi 14 octobre entre 14 et 18h et le dimanche 15 octobre de 11 à 17h.
À la Galerie Blaesart vous pouvez encore, jusqu’au 25 juin, voir une exposition originale à plus d’un titre.
Non pas parce qu’elle réunit 4 artistes femmes, les collectifs de ce genre sont monnaie courante aujourd’hui et, d’ailleurs, souvent revendiqués comme tels. L’exposition n’aurait donc pas pu s’intituler 4 Femmes.
Pas non plus parce que vous aurez l’occasion d’y voir des peintures et des sculptures, croisement artistique tout aussi fréquent dans les dispositifs actuels. L’exposition n’aurait donc pas pu s’intituler Peintures et sculptures !
Mais alors, me direz-vous pourquoi faire l’effort de vous rendre au 134 de la rue Blaes pendant ces chauds week-ends de juin, au-delà du plaisir (bien réel) de prendre l’ascenseur qui vous offre une vue imprenable sur la capitale ?
Parce que l’exposition s’intitule 4 regards. Et que le regard constitue l’identité de l’artiste.
J’emprunterai à Amélie Haut cette réflexion: « Peindre ou sculpter c’est donner à voir une réalité transformée par le regard personnel que l’artiste a posé sur elle, (trans)poser l’image entraperçue sur la toile ou dans la glaise ». Et c’est bien de réalité transposée dont il s’agit car les 4 artistes, ont chacune une manière de traduire leur vision du monde.
Parlons art d’abord.
C’est le monde extérieur qui attire Jado Jacqmart. La rue. La plage. Le parc. Leur mouvement incessant, leur animation. Ici, des chiens patients attendent que des maîtres pressés prennent le train, traversent une rue, lancent une balle ou se jettent à l’eau. Ce n’est pas pour rien que Jado Jacqmart privilégie l’acrylique, une matière qui sèche vite et qui réclame donc une sûreté du geste au moment de placer la touche de couleur, une vitesse d’exécution pour une immédiateté du résultat. Celui qui donne l’impression de l’instantané photographique, du mouvement capté, en suspens. Qui crée l’envie presque irrépressible « d’entrer dans la toile ».
Tout le contraire chez Muriel Jongen qui propose des moments suspendus de vie quotidienne, des scènes d’intérieur apaisées, lumineuses, presque surannées dans leur intemporalité. Ce qui séduit ici c’est la palette de couleur, la lumière qui se dégage du contraste avec les ombres bien marquées. Face au petit nombre de toiles exposées le/la visiteur·se voudrait découvrir plus avant l’univers de Jongen dans des formats plus grands ou des scènes plus contemporaines.
On retrouve cette même envie de révéler l’intimité de moments secrets dans les sculptures de Patricia Debaerdemacker . Des corps de femmes, fluides et gracieux, presque graciles, dévoilés dans des moments très privés, secrets : le sexe, la maternité, le bain, … La technique très maîtrisée de la ronde bosse décuple le plaisir du regard qui enveloppe d’une caresse visuelle les moindres détails de l’instant représenté.
Au bout de la galerie, comme dans un cocon, une sorte de cabinet de curiosité, des toiles qui forment un bel ensemble. Mais une petite déception viendra sans doute de cette dernière partie où Amélie Haut, tournant résolument le dos à ses périodes artistiques précédentes, s’enferme dans son processus de création de vanités. J’avais en 2019, à l’occasion d’une précédente exposition d’Amélie, souligné avec intérêt, à quel point elle était centrée sur la narration et le méta-discours autour de l’œuvre, auxquels on pouvait adhérer ou pas. ici, il semble que, sans manuel de l’utilisateur, le/la visiteur·se n’a plus accès au sens réel de son travail. Haut maîtrise de mieux en mieux la technique de la peinture réaliste et ses compositions sont sophistiquées, c’est certain. Mais peut-être faut-il voir dans sa démarche une illustration du propos lacanien affirmant que « La vie ne songe qu’à mourir. » Car il semble que ce qui préoccupe désormais Amélie, c’est le regard intérieur et la parabole métaphysique , le discours sur l’humain, sa finitude. Son universalité, dit-elle.
Parlons donc d’humanité.
Car la réunion de ces quatre regards sur le monde, c’est avant tout une affaire humaine : le projet de 4 femmes aux pratiques artistiques différentes mais qui partagent depuis plus de 10 ans des instants de création dans l’atelier, pour donner du sens. Un beau travail collectif où les différences de propos et d’approche se côtoient sans heurts et se font écho.
4 regards, une exposition à ne pas manquer pour l’originalité de son propos et des forme proposées.
Galerie Blaesart
Jusqu’au 25 juin, du vendredi au dimanche
Pour le 25 juin, les artistes nous annoncent un beau finissage autour du verre de l’amitié de 11 à 15h.
Virginie Renson (Visual art critics)
Je remercie Virginie Renson pour cet article publié sur son blog de critique artistique et qu’elle m’autorise à reproduire ici. Amélie Haut
Hélas, quoi qu’il en soit, si vous n’avez pas vos billets, vous n’aurez pas l’occasion de visiter l’exposition qui réunit 27 toiles de Vermeer au Ryksmuseum jusqu’au 4 juin. Les entrées se sont vendues en quelques heures et malgré l’ouverture de créneaux supplémentaires bien des passionnés ont été frustrés. Devant cet engouement, on peut raisonnablement se poser la question de savoir pourquoi Vermeer (Delft 1632 – 1675), peintre assez connu de son vivant dans sa région mais loin d’avoir une renommée internationale comme Frans Hals, par exemple, déchaîne les intérêts à l’égal d’une rock star au XXIème siècle!
Il a fallu attendre la fin du XIXème pour que les critiques s’intéressent à ce peintre dont la biographie était totalement opaque. Redécouverts par le critique et historien d’art français Théophile Thoré-Bürger qui leur consacre trois articles en 1866 dans La Gazette des Beaux arts, les tableaux de Vermeer déchainent alors la passion des collectionneurs après deux siècles de relative traversée du désert. Mais c’est en découvrant l’ « exposition hollandaise » du Musée du Jeu de Paume, en 1921 où Proust reverra la Vue de Delft qu’il avait admirée dans sa jeunesse, que le public français s’intéresse vraiment à celui que l’on appelle encore alors « Ver Meer de Delft ». Et c’est surtout grâce à Marcel Proust que la passion commence. Proust qui, dans La prisonnière (cinquième tome de A la recherche du temps perdu, paru en 1923) , écrit cet épisode devenu très célèbre où l’écrivain Bergotte souffrant d’ une crise d’urémie se décide malgré tout, au prix de sa vie, à aller admirer la Vue de Delft de Vermeer prêtée par le musée de La Haye, parce qu’il adorait ce tableau.
« Enfin il fut devant le Ver Meer qu’il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu’il connaissait, mais où, grâce à l’article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu’il veut saisir, au précieux petit pan de mur. « C’est ainsi que j’aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. » (…) Il se répétait : «Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune. » »
Et c’est probablement, en effet, dans la couleur que réside toute la séduction des tableaux de Vermeer. Outre le bleu outremer naturel (à base de lapis lazuli) qu’il pose même sur les fonds (malgré le coût élevé des pigments), il utilise la terre d’ombre naturelle et l’ocre pour ses intérieurs et jongle avec la proximité des couleurs comme le jaune et le bleu qui donnent à ses toiles leur lumière.
Car en matière de construction des compositions, Vermeer est répétitif, ce qui, une fois encore , n’aura pas échappé à Proust :
« … c’est toujours […] la même table, le même tapis, la même femme, la même nouvelle et unique beauté, énigme à cette époque où rien ne lui ressemble ni ne l’explique, si on ne cherche pas à l’apparenter par les sujets, mais à dégager l’impression particulière que la couleur produit » (La prisonnière).
Mais pour Proust, ce sont les fragments d’un même monde et la répétition permet de constituer « un monde en soi ». Ainsi, après les sujets religieux ou mythologiques, dans les intérieurs, une source lumineuse, venant de la gauche (généralement une fenêtre) éclaire une jeune femme qui lit, joue du luth, verse du lait, passe un collier de perle ou brode. Et les mêmes objets se retrouvent dans l’espace cadré d’un format relativement petit : cartes de géographie au mur, pavement noir et blanc, lourdes tentures sur la droite, objets du quotidien comme des pichets ou des aiguières. Le tout, souvent en contre plongée. Ce qui a poussé les critiques à penser que Vermeer se servait d’une « camara oscura », cet instrument optique utilisé par les peintres (avant l’invention de la photographie) pour projeter la lumière sur une surface plane et fixer ainsi l’image à reproduire.
Les expositions se succéderont dans le monde au cours du XXème et pendant les premières années du XXIème. Mais toujours avec un nombre restreints d’œuvres présentées : Rotterdam 8, Londres et New York 13, Washington 20 ( !),…) jusqu’à l’exposition de 2017 à Paris qui montrera 12 toiles du maître.
C’est dire si l’exposition d’Amsterdam en 2023 avec ses 27 tableaux ne pouvait manquer d’être vécue comme un événement et devait attirer la très grande foule, d’autant qu’aujourd’hui les toiles de Vermeer sont dispersées dans les plus grands musées du monde et qu’aucune, par exemple, ne peut se voir à Delft !
Depuis Proust, bien des artistes se sont approprié Vermeer. Et même si un tableau de Vermeer est le mobile du crime dans le roman d’Agatha Christie Les Indiscrétions d’Hercule Poirot (1953), c’est probablement le roman La Jeune fille à la perle (Girl with a Pearl Earring 1998) de l’américaine Tracy Chevalier qui a marqué les esprits. Mais une bonne demi-douzaine d’autres textes s’inspirent de l’œuvre ou de la vie du peintre. Le cinéma et la musique ne sont pas en reste. Sans parler de célèbres produits laitiers qui ont choisi une œuvre de Vermeer pour vendre leurs yaourts !
J’ai eu le privilège de voir cette exposition sublime. J’avais réservé mes tickets d’entrée depuis des mois. J’avoue. La beauté des contrastes, des ombres, des lumières, des drapés, de ces touches de couleurs, ces points qui animent le tableau, tout était de l’ordre de l’enchantement.
Et pourtant.
Ma plus grande frustration a été la confrontation, dès la première salle , à la Vue de Delft. J’aurais aimé retarder l’instant. Attendre un peu. Ne pas recevoir dans les yeux dès l’entrée cette pure merveille. Accepter de patienter un peu, malgré l’impatience, comme quand l’amour se fait attendre. Se refuse à être précoce.
Dans ces cas-là, pas d’autre solution que d’y revenir. Plusieurs fois. Jusqu’à ce que l’instant s’avère propice. Dans la solitude. Pour absorber par les yeux le petit pan de mur jaune du « plus beau tableau du monde », comme se plaisait à le croire Marcel Proust.
Jusqu’au 4 juin au Rijksmuseum .
Commissariat international de l’exposition sous la direction de Pieter Roelofs et Gregor J.M. Weber.
Scénographie de l’architecte français Agence Wilmotte & associés Architectes.
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