Retrospective: l’art affable, ou pas…

Je ne connaissais pas du tout la pièce Rétrospective, mais le nom de l’auteur et celui du metteur en scène étaient – à mes yeux – des gages de qualité: Bernard Cogniaux à l’écriture et Pietro Pizzutti à la mise en scène, c’était largement suffisant pour moi. Voilà comment j’ai passé hier, au théâtre le Public, une des soirées les plus intelligentes et subtiles depuis longtemps.
Denis, plasticien à la réputation internationale à la cote très élevée, revient dans son village d’enfance. En effet, la commune a racheté sa maison natale et l’a transformée en centre culturel. Pour l’ouverture, son amie Sherinne, directrice du centre, a invité Denis à présenter une rétrospective de son travail, ce qu’il a accepté par « affabilité », affirme-t-il. Cependant, revenir sur les lieux de ses débuts, dans un environnement totalement modifié, déstabilise l’artiste qui s’interroge sur le sens de cette rétrospective et de son art. Comment présenter le travail d’une vie sur des mur blancs, immaculés, dans le décor aseptisé de ce centre dit culturel ? Comment y créer de l’écho entre les œuvres ? A travers quelle scénographie permettre au public d’appréhender ses questionnements? Comment faire sens ? Denis se remet en question à chaque option. Sherinne, accrochée à son téléphone, communique à tout-va sur l’«impressionnante » ouverture qui se prépare, bien consciente de l’atmosphère délétère, mais obsédée par les retombées économiques et politiques de l’événement, focalisée sur l’image et l’apparence, insensible au besoin de sens de Denis. Face à eux, les assistants : Anna, la slameuse occasionnelle, hyper pro dans le montage des lumières et des cimaises, totalement imperméable à l’art mais très impliquée dans l’installation du centre d’accueil pour réfugiés dans l’ancienne école. Et le bénévole, étudiant de l’Académie, double jeune de Denis qui le renvoie à ses interrogations, ses violences. Ses engagements?

La pièce pose avec humour et sensibilité, les questions du rapport de l’artiste à son art mais aussi du rapport de l’art à la société. Faut-il hiérarchiser les préoccupations, artistique vs sociétale? La société a-t-elle prépondérance sur l’art ? Le questionnement artistique est-il, par définition, autiste ? L’art doit-il vraiment faire sens pour tous ?
L’écriture de Bernard Cogniaux, précise et dynamique, rend de la modernité au questionnement sur le sens de l’art. L’efficace scénographie de Anne Guilleray, à base de panneaux coulissants, m’a rappelé l’incroyable dispositif scénique qui m’avait tellement marquée, il y a (très) longtemps, celui que Philippe Van Kessel avait choisi (en 1984 à l’Atelier Ste Anne !) pour La trilogie du Revoir, la pièce de Botho Strauss dans laquelle, déjà, il s’agissait de préparer l’ouverture d’une exposition qui révélait peu à peu les conflits et les déchirures.
La mise en scène de Pietro Pizzuti, au cordeau et en mouvement perpétuel, ne permet pas une seconde d’inattention et fait alterner, avec subtilité, le rire, l’émotion et la poésie. Laurent Capelluto campe avec nuances un artiste erratique et en recherche. Sandrine Laroche est percutante et hilarante dans son rôle de directrice de centre culturel au bord de la crise de nerf. Sarah Joseph et Jonas Claessens débordent d’énergie et d’enthousiasme.
Passer une soirée à l’issue de laquelle on se sent plus intelligent, c’est extrêmement rare. Il ne faut donc pas rater l’occasion offerte par Rétrospective, jusqu’au 27 avril au Théâtre Le Public, Rue Braemt 64-74, 1210 Saint-Josse-ten-Noode. Prix des places de 5 à 26 euros !

 

Ce texte est soumis à la loi sur le droit d’auteur. Autorisation à demander à amelie.haut01@gmail.com

Crédit photo Gaétan Bergez

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