Philippe van Kessel vient de nous quitter. Metteur en scène d’exception, il avait créé l’indispensable Atelier Ste Anne avant de devenir directeur du Théâtre national.
Au début des années 80, Pierre Yerlès venait de créer la chaire de didactique du françaisde l’UCL et avec Marc Lits, ils proposaient aux enseignants des techniques d’enseignement assez révolutionnaires. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré Philippe van Kessel pour la première fois et suivi ses cours avant de le retrouver pour des journées d’apprentissage théâtral . Et, avec lui, que j’ai connu mon plus grand choc théâtral à ce jour quand j’ai vu à l’Atelier Ste Anne sa mise en scène de Trilogie du revoir de Botho Strauss. L’espace était traité de façon complètement nouvelle, ses comédiens et comédiennes parlaient et se mouvaient différemment… Il a vraiment marqué ma vie et changé mon regard sur le théâtre. Pour moi, il a tout de suite été une référence intellectuelle et un guide au moment de monter des spectacles avec les élèves de mon cours de français. Fin pédagogue, il parvenait à tirer l’essentiel de gens qui, comme moi, n’appartenait au monde des comédiens. Que dire alors des artistes qui l’entouraient?
En 1987, dans ma classe de français, j’ai monté un spectacle que j’avais intitulé La collection de Samuel Herbmann et qui proposait des extraits de Trilogie du revoir, oeuvre sur laquelle j’avais travaillé avec Philippe aux cours de ces formations. Voici ce que j’écrivais alors en juin 1987 dans le programme qui, comme pour les grandes compagnies, présentait le spectacle.
« Il y a deux ans j’ai eu la chance et l’honneur de travailler avec Philippe van Kessel qui proposait alors sa mise en scène de Trilogie du revoir de Botho Strauss à l’Atelier Ste Anne. Spectacle pour lequel il obtiendrait l’Eve du théâtre en 1985.
Après, lecture, analyse et interprétation du texte avec Philippe, il nous a emmené voir son spectacle. Un choc. J’ai ensuite revu la pièce trois fois avec un enthousiasme – ai-je pensé ferveur?- toujours renouvelé. Outre la mise en scène où se retrouvaient la rigueur, la précision, la classe, le dépouillement, l’intelligence qui caractérisent van Kessel et qui font de lui, selon moi, le meilleur directeur de troupe actuel en Belgique, il y avait le texte de Botho Strauss, l’un des cadets de la nouvelle génération d’Allemands qui ont récemment envahi les scènes avec leurs interrogations et leurs cris. Dramaturge à la Schaubühne de Berlin (ouest). Solitaire. Déchiré. En recherche. Et Trilogie , un texte parfois à la limite de la banalité sur, justement, le déchirement des êtres dans leur incommunicabilité. Comme Berlin. La ville double qui se cherche, s’appelle par delà un mur, se déchire elle-aussi. La ville qui provoque tant les artistes, la ville de l’omniprésente modernité. La ville hantée par les images de l’Allemagne d’avant, celle qui fait encore peur surtout quand on la prononce Barbie-Berlin. (…)
Travailler l’ensemble de Trilogie du revoir avec des étudiants, même de la plus extrême bonne volonté et doués, était impossible. Van Kessel déjà avait réduit à 3h le spectacle qui en faisait 6 initialement. Malgré cela, je souhaitais leur faire travailler certains extraits autour desquels nous avons, en classe, construit une intrigue, réductrice certes, mais qui rapprochait de nous le sens de la Trilogie.
Nous ne présentons donc pas l’ensemble de Trilogie du revoir mais je tenais à marquer clairement nos références pour connoter avec précision notre Collection de Samuel Herbmann qui se refuse à ne vous montrer que l’évidence. »
Que de chemins parcourus en 35 ans. Berlin n’est plus double. Botho Strauss n’est plus un cadet mais un pape. Van Kessel a fait l’extraordinaire carrière que l’on sait, de l’Atelier Ste Anne au Théâtre national, de l’INSAS à l’école du Théâtre national de Strasbourg et sur tant d’autres scènes. Le voilà parti.
Il reste les souvenirs. Quelques photos sur papier. Et tant d’idées qui flotteront dans l’air longtemps encore.








Cette année-là, la musique de Paolo Conté ponctuait le spectacle et la distribution se composait de Nathalie Authom, Véronique Abbenbroek, Marylène Bruno, Christelle Caudron, Fabrice Daron, Vincent Daix, Nathalie De Boevere, Bernadette Fobelets, Dominique Fouyon, Isabelle Horemans, Valérie Hourdain, Michel Janus, Judit Joos, Evelyne Levecq, , Nancy Marotte, Cécile Mascau, Antonietta Pacillo, Anne-Michelle Piccot, Geneviève Ponlot, Annicke Salengros, Edith Stillemant, Isabelle Tahir. A mes côtés, Karin Gava avait été une exceptionnelle régisseuse.
J’espère que, malgré tout ce temps passé depuis, ils et elles ont gardé quelques traces de ces rêves de théâtre à travers lesquels nous avons voyagé. Grâce à Philippe van Kessel.