L’humanité confinée dans un silo. Impossible ici ?

Quand j’ai dit à Marie que je commençais une dystopie postapo, elle m’a demandé si c’était douloureux. A Anouk, j’ai annoncé que j’avais une dystopie postapo dans mon sac et elle a voulu savoir si c’était aussi efficace qu’une bombe lacrymo. Sabine s’est inquiétée de la façon dont j’écrivais dystopie postapo et Ida m’a prié d’articuler, c’était déjà assez compliqué de m’entendre parler espagnol. Quand, proche du désespoir, j’ai avoué à Laura que je trouvais excellente cette dystopie postapo, elle a voulu connaître le titre et le nom de l’auteur ! Ouf ! J’étais sauvée! Quelqu’un me comprenait enfin!

Il faut avouer que moi aussi, comme mes amies, j’ai mis du temps à saisir ce dont parlaient mes jeunes collègues quand elles s’enthousiasmaient pour telle ou telle dystopie postapo, ce « nouveau » genre littéraire très à la mode qui séduit les lecteurs de la génération montante. Quand j’ai réalisé qu’une dystopie n’était qu’un « récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre » (définition du Petit Robert, mot anglais dont la forme francisée apparaît en 1976) et postapo l’abréviation de postapocalytique, je me suis rappelé que 1984 de Georges Orwell avait été écrit en 1948 et que je l’avais

Couverture Jean Gourmelin

lu dans les années septante (l’édition Folio avec la célèbre couverture de Jean Gourmelin datant de 1972).

Evidemment, de mon temps, on parlait plutôt de roman d’anticipation ou de science-fiction mais nous sommes désormais à l’ère de la dystopie. Tout le contraire de ce que proposait Thomas More, donc.

A ma grande surprise, en recherchant la date de la publication de 1984 en français, j’ai trouvé plusieurs articles dans des journaux supposés sérieux comme Le Monde ou Le Figaro indiquant que les ventes de 1984 avaient grimpé de 9500% (oui, neuf mille cinq cents !) … depuis l’arrivée de Trump au pouvoir ! En effet, les « faits alternatifs », les contre-vérités et autres fakes-news ne sont pas sans rappeler le novlangue de Big Brother revisité façon Trump. 1984 a donc fait un buzz sur les réseaux sociaux ! Meilleure vente d’Amazon en février, le roman d’Orwell est suivi de près par Le meilleur des Mondes d’Aldous Huxley et Impossible ici! de l’américain Sinclair Lewis (premier Prix Nobel de littérature américain), roman qui vient d’être réédité en Angleterre pour la première fois depuis sa sortie en 1935 ! Un journaliste du Guardian, Alex Hern, est même allé jusqu’à proposer les 5 meilleures dystopies en dehors de 1984 pour comprendre l’Amérique de Trump !

Bon, et la dystopie que j’avais dans mon sac, alors ? J’ai hésité à l’acheter, c’est vrai, parce que ce n’est pas mon genre de lecture favori et le bandeau indiquant en lettres moyennes « une révélation! » et en grosses lettres « Hubert Artus », ce journaliste du magazine Lire dont je suis loin de partager tous les engouements, me tenaient largement à distance. Mais, une couverture attirante et une quatrième accrocheuse ont eu raison de mes hésitations. Donc, j’ai ouvert Silo de Hugh Howey avec une réticence certaine et… je n’ai pas pu le lâcher avant d’arriver au bout de ses presque 750 pages. Certes, il faut accepter le postulat dystopique et postapocalytique d’une population réduite à quelques milliers d’êtres  humains enfermés dans un gigantesque silo de 144 étages où tout est contrôlé, hiérarchisé et soumis à des règles strictes. Le monde extérieur est devenu mortifère et son image visible sur quelques écrans géants est retransmise par des capteurs que doivent nettoyer les condamnés, expulsés du silo vers cette terre toxique, pour avoir violé une loi ou un tabou. Mais, une fois dans le système du silo, on se laisse emporter par l’incessant mouvement qui y règne et par les questionnements secrets qui affleurent peu à peu dans l’esprit de certains. Le pouvoir nous cache-t-il des choses ? Le monde extérieur est-il bien celui qu’on nous montre ? Pourquoi les communications sont-elles si chères ? Sommes-nous seuls ? Tous ensemble pouvons-nous changer les choses ?

A tant se faire peur à la lecture des récits de ces sociétés dans lesquelles les êtres humains sont cadrés par des systèmes où la pensée est opprimée et formatée, on est presque en droit de se demander si la dystopie n’est pas l’ultime catharsis qui permette encore de tenir – momentanément – à distance les nationalismes montants et les politiciens fous, plus avides de puissnce numérique que d’avancées sociétales. Dans le monde actuel, où la technologie permet déjà toutes les dérives, la dystopie nous impose une sorte de lucidité à long terme. Mais, au vu des expériences passées, on est tout aussi en droit de s’interroger sur sa capacité à nous imposer la raison.

 

Silo, trad. Yoann Gentric et Laure Manceau, (2013) Actes Sud et (2016) Livre de Poche.

 

Photos © Amélie Haut

Ce texte est soumis à la loi sur le droit d’auteur. Autorisation à demander à amelie.haut@gmail.com

 

 

 

 

 

 

 

Une réflexion au sujet de « L’humanité confinée dans un silo. Impossible ici ? »

  1. Héhé Christine à te lire mon cœur est en émoi …Voilà que je me surprends à noter dans un de mes nombreux carnets le titre de ce bouquin…Ton article m’attire vers ce genre que je n’aime pas… (Imagine! Je lis « De l’âme » de François Cheng….) Brrrr!!! J’ai l’impression de descendre vers un abîme…(les journaux que je lis (pour la plupart distopiques eux aussi ) ne me suffisent ils pas ? Ahhhggggh Xtine! tes critiques sont trop bien faites…Et avoir de l’inspiration sous la main en cas de manque c’est toujours utile …donc je note pour des jours ensoleillés et vivants….histoire de changer d’air.
    A Mercredi,
    Yv.Michiels

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