From China to Taiwan : la troisième voie

L’exposition From China to Taiwan, les pionniers de l’abstraction, présentée au Musée d’Ixelles jusqu’au 24 septembre 2017, permet au visiteur de voir, pour la première fois en Europe, les œuvres de 16 peintres, pour la plupart nés en Chine entre 1925 et 1935 et obligés de s’exiler à Taiwan en 1949. C’est là qu’ils vont découvrir la production artistique occidentale et, partant, l’abstraction. Les pionniers Zao Wou-Ki (1920-2013), Chu Teh-Chun (1920-2014), et Lee Chun-Shan (1912-1984) font leur classe à l’École des Beaux-Arts de Hangzou avant de quitter la Chine pour  Taiwan où apparaissent alors le groupe Ton Fan (1956-1971) créé par huit élèves de Lee Chun-Shan et le groupe Wuyeu ou Fifth Moon (1957-1972) créé sous l’impulsion du professeur Liao Chi-Chun (1902-1976).

Avant d’entrer dans le musée, avant de découvrir ces œuvres, la question se pose  de savoir s’il est acceptable de caractériser l’abstraction.  S’agit-il uniquement, par exemple, de la position universelle de l’artiste désireux de déconstruire le réel ou de le ramener à ses formes les plus simples ou les plus géométriques? S’agit-il de révolutionner la représentation réaliste, photographique, propres aux œuvres picturales jusqu’à la fin du XIXème et donc de devenir l’expression de la modernité? Au contraire d’un processus abstrait universel, peut-on  concevoir l’existence d’une abstraction chinoise ou française, ou américaine, dont les marques seraient identifiables et dont les fondements seraient à chaque fois différents ?

Flowing, Hsiao Ming-Hsien

Dès les premières toiles présentées dans l’exposition, on constate que la démarche qui a prévalu, dans la pratique de presque tous ces peintres, n’était pas d’adopter l’abstraction pure et désincarnée, pour elle-même, mais au contraire de s’appuyer sur les traditions ancestrales comme la calligraphie ou le Shanshui (peinture de paysages, souvent de montagne et d’eau) pour les amener à la forme abstraite. Une toile particulièrement parlante à ce sujet est le tableau intitulé Flowing (littéralement, ce qui coule) de Hsiao Ming-Hsien dans laquelle le peintre opte pour la forme rectangulaire verticale propre à l’estampe et l’encre sur papier, où l’on reconnaît les signes calligraphiques anciens mais comme « tagués » par une autre forme, abstraite, qui, gardant les lignes de la forme traditionnelle vide le sens initial du signe pour le remplir d’autre chose.

 

Fong Chung-Ray – un véritable coup de cœur parmi tous les artistes présentés – privilégie aussi souvent la technique ancestrale de l’encre sur papier dans laquelle les signes, ici, se diluent, se fondent et s’entremêlent dans des sortes de lavis de couleurs superbes.

 

Chuang Che, un des théoriciens du mouvement Wuyeu, est, lui, influencé par les anciens paysages Song, dans

Chuang Che

 

 

lesquels, déjà, l’apparence des choses devait s’effacer au profit de la spiritualité. Dans un tableau présenté ici, il s’inspire des paysages du Michigan, sa terre d’adoption, pour livrer une abstraction chaotique mais néanmoins parfaitement cohérente et qui n’est pas sans rappeler certains paysages fantastiques du peintre carolorégien, Marcel Delmotte.

Marcel Delmotte, Forêt frantastique, 1963 (photo ADAGP)

Au-delà de la tradition il faut aussi tenir compte, dans l’approche de ces œuvres, de l’importance centrale du bouddhisme, du taoïsme, ou de la philosophie zen qui vont influencer ces peintres jusque dans leur approche technique. Par exemple, Liu Kuo Sung introduit le trait blanc à côté du trait noir pour rappeler le ying et le yang constitutifs de toute chose. Et Chuang Che rejoint l’esprit du bouddhisme lorsqu’il explique que « l’occident cherche à fusionner avec le reste du monde alors que la Chine s’attache à préserver ses traditions. L’idée serait de brouiller la frontière, de ne choisir ni la voie de l’Est ni la voie de l’Ouest mais une troisième voie. Ces deux voies doivent se joindre comme deux rivières avant de se jeter dans la mer. »

Dans cette exposition, toute la question de l’abstraction est posée. Clairement, celle montrée à Ixelles jusqu’au 24 septembre est bel et bien chinoise. Et la beauté des œuvres qu’elle a engendrées n’a d’égal que la profondeur du questionnement qu’elle provoque en nous.

Musée d’Ixelles From China to Taiwan

 

https://www.youtube.com/watch?v=jlBpwhDfNFQ

Photos © Amélie Haut

Ce texte est soumis à la loi sur le droit d’auteur. Autorisation à demander à amelie.haut@gmail.com

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