L’art d’attendre sous un parapluie Vuitton

Visiter une exposition à la Fondation Louis Vuitton à Paris relève de l’expérience existentielle. D’abord, pour y arriver, il faut accomplir un trajet assez long en métro, jusqu’à la station Les Sablons, suivi d’une marche d’environ quinze minutes. Ensuite, quitter le cœur palpitant et bruyant de Paris – dans mon cas, le 7ème arrondissement – et se retrouver à Neuilly, c’est comme passer de Blankenberge au Touquet ! Ici, à Neuilly, du silence, des arbres, des jardins en devantures de villas fin de siècle d’où s’échappent, sans même le vouloir, le luxe et le calme. Pour ce qui est de la volupté, je n’ai pas vérifié. Donc, on marche, le long du jardin d’acclimatation, sur des trottoirs propres et en bon état, jusqu’à apercevoir l’étonnante structure due à Frank Gehry et considérée comme un geste architectural majeur par son innovation et sa poétique. Pour ma part, je l’ai trouvée intéressante mais plus proche du modèle de l’oiseau englué, écrasé au sol, que de l’envol royal et enrubanné du musée Guggenheim de Bilbao, également conçu par Gehry. Une fois passée la sensation d’écrasement que produit le bâtiment et quand sont franchis les 100 derniers mètres qui mènent à la porte,… on est assommé par la masse de visiteurs, entassés dans des files organisées en fonction des heures d’entrée. Car on n’entre pas ici comme on veut. Il faut avoir réservé un horaire spécifique et se mettre dans la bonne queue avec tous ceux qui, comme vous, pensaient avoir un précieux sésame réservé depuis longtemps, sur Internet! C’est là que le doute vous assaille. L’art vaut-il la peine de faire des heures de queue sous la pluie (même si l’on vous propose des parapluies Vuitton !) pour tenter d’apercevoir LE premier tableau acheté en 1930 par le Moma, un très joli Edward Hopper, première manière, (House by the Railroad) ou Le baigneur de Paul Cézanne (acquis en 1934) ? Trois possibilités s’offrent alors à vous : soit vous offrez vos billets à un couple de jeunes gens, démunis de coupe-file et en passe d’attendre des heures le droit d’acheter un billet d’entrée, et vous repartez le cœur empli de l’émotion d’avoir fait une bonne action ; soit vous jetez vos billets ostensiblement dans la poubelle sous les yeux surpris ou choqués des gardiens et vous repartez le cœur plein de l’émotion d’avoir posé un geste militant en faveur de la liberté d’accès aux musées ; soit encore vous décidez d’attendre votre tour parce que vous voulez voir la sculpture Oiseau dans l’espace de Brancusi, montrée pour la première fois à Paris, ou revoir une partie des  Campbell’s Soup Cans d’Andy Warhol. Comme moi, vous opteriez sans doute, benoitement, pour la troisième solution et pourriez, au bout d’un long moment, pénétrer dans l’exposition Etre moderne : Le MoMA à Paris  co-organisée par le Museum of Modern Art à New York et la Fondation. Et là … ne rêvez pas ! Tous ceux qui attendaient patiemment avec vous se retrouvent, avec vous, dans la première salle ! Et veulent, comme vous, voir House by the Railroad, Le faux miroir impressionnant de Magritte, le Klimt ou le provocateur M’amenez-y de Picabia.

Sur trois étages, la Fondation Vuitton présente l’évolution de l’art contemporain car, créé en 1929, le MoMA, a été l’un des premiers musées à se consacrer exclusivement aux arts de l’époque. L’exposition s’ouvre sur la première décennie du MoMA et se poursuit dans l’après-guerre avec du  Jackson Pollock, par exemple. Puis, après le « minimalisme » et le « pop art », ce sont des œuvres postérieures à 1960, dont certaines issues de ce que l’on a appelé la Pictures Generation. Dans la dernière section,  des œuvres contemporaines acquises par le MoMA au cours des deux dernières décennies, comme les 176 emoji dessinés par Shigetaka Kurita (acquis en 2016). Une section (passionnante) est consacrée à retracer chronologiquement l’histoire et l’évolution du Moma.

Bon, vous enchaînez les œuvres ou, du moins, vous enchainez des bouts d’œuvres car la foule ne vous donne pas toujours accès à une vision panoramique. Et soudain, le miracle se produit. Une œuvre vous happe. Est-il possible qu’il n’y ait personne que vous à regarder cette toile? Et que vous puissiez prendre le temps de vous attarder devant cette respiration magique, cette aspiration diffuse vers l’ailleurs, infinie fusion des frontières inachevées entre les zones de couleurs, traitement de l’essentiel… Devant l’apaisant et sublime Number 10 de Mark Rothko, vous comprenez soudain pourquoi il était bon d’attendre si longtemps, sous les parapluies de la Fondation Vuitton.

 

Photos © Amélie Haut

Ce texte est soumis à la loi sur le droit d’auteur. Autorisation à demander à amelie.haut@gmail.com

 

 

 

 

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