A la National Gallery (Sunley Room) de Londres, jusqu’au 2 avril 2018, il est possible de voir l’exposition Reflections: Van Eyck and the Pre-Raphaelites* qui, pour être limitée en quantité d’œuvres exposées, n’en est pas moins tout à fait étonnante. Elle a été pensée à partir d’un tableau unique, Les Époux Arnolfini de Jan Van Eyck, autour duquel s’organisent quatre salles dans lesquelles sont présentées des toiles de peintres du mouvement préraphaélite qui, comme son nom ne le laisserait pas deviner, est apparu et s’est éveloppé au milieu du XIXème siècle en Angleterre.
Les Époux Arnolfini est le nom donné à l’œuvre (1434, huile sur bois) du peintre primitif flamand Jan Van Eyck. Sont-ce bien le banquier et sa femme ou, comme des critiques l’ont prétendu, s’agit-il plutôt d’un auto-portrait de Van Eyck et de son épouse ? Ce n’est pas la question qui préoccupe ici. On pourrait d’ailleurs avec profit, pour tous ces détails historiques, lire le roman de Jean-Philippe Postel, L’affaire Arnolfini, publié chez Actes Sud et qui traite le sujet à la manière d’une investigation propre au roman policier. Peint en 1434, le tableau restera longtemps possession de la famille royale espagnole, avant de tomber entre les mains du lieutenant-colonel écossais James Hay, lors des campagnes napoléoniennes. Achat ou butin de guerre, peu importe. Toujours est-il que Hay emporte le tableau en Grande Bretagne et après l’avoir laissé accroché pendant des années au mur de son cottage, en Ecosse, il le propose, en 1842, à la National Gallery qui le lui achète pour 630 livres ! (Un film de quelques minutes retrace avec beaucoup de dynamisme l’histoire de l’arrivée de cette pièce maîtresse!)
Au XIXème, c’est l’Académie Royale des Beaux-Arts qui définit les critères de l’art. Les candidats peintres devaient donc s’entraîner à reproduire les modèles classiques, surtout italiens, parmi lesquels Raphaël faisait figure de référence. Ils devaient s’évertuer à rendre la musculature, le mouvement ou le plissé des toges, au plus près de la composition initiale de ces œuvres d’inspiration biblique ou mythologique. Pour ce faire, ils se rendaient quotidiennement à la National Gallery où se trouvaient exposé tout ce que la peinture classique comptait de chefs d’œuvre. Lorsque, pour la première fois, est exposé le tableau de Van Eyck, c’est un choc ! En 1848, de jeunes peintres (John Everett Millais, William Hunt et Dante Gabriel Rossetti) remettent en question les principes enseignés et forment The Pre-Raphaelite Brotherhood (les trois lettres PRB, constituant un sigle de reconnaissance posé dans leurs signatures). Ils ont pour projet de produire une peinture « plus proche de la nature, non formatée et en quête de perfection tant au niveau de la forme que de l’expression ».
A partir de thèmes venus du passé médiéval ou puisés dans les poèmes épiques comme The Lady of Shalott (personnage de la légende arthurienne devenue célèbre par un poème de Lord Alfred Tennyson), Mariana

ou La Belle Iseult, leur démarche est, d’abord, avant-gardiste. Comme chez Van Eyck, le style préraphaélite est caractérisé par une abondance de motifs et de détails, réalistes et symboliques à la fois, présents sur la totalité de la surface du tableau. Les couleurs sont vives, lumineuses et contrastées. William Morris et Edward Burne-Jones rejoindront le mouvement en 1852 et orienteront l’esprit du réalisme originel des premiers pré-raphaélites vers des motifs purement décoratifs.
Aujourd’hui, pour la première fois, la National Gallery présente côte à côte des œuvres pré-raphaélites et le tableau de Van Eyck (sans système de protection spécial) qui les a tellement inspirés. Ce qui frappe, au premier regard posé sur l’œuvre, magistralement mise en lumière malgré la semi pénombre de la salle, c’est la dimension du tableau qu’on pourrait imaginer très grand puisqu’il représente le banquier et sa femme en pied. En réalité, il ne fait que 82cm sur 60.
Puis, toute l’attention se porte sur le fameux miroir convexe, central, mise en abime de l’acte de peindre si souvent traitée et reproduite par la suite, en lecture inversée dans les Menines de Velazquez (dont une copie partielle se trouve dans l’exposition) ou littérale chez certains pré-raphaélites comme l’ Awakening Conscience de Hunt(1853), la Lucrezia Borgia de Rossetti (1860) ou Il Dolce far Niente de Holman Hunt (1866).

Deux salles sont consacrées à cette utilisation du miroir convexe qui semble bien avoir changé la perception de l’art puisque, l’image de Van Eyck lui-même, renvoyée distordue au spectateur, permettait, par la réflexion et par la présence de l’artiste dans une dimension externe au tableau, l’intrusion du hors champs. L’exposition présente d’ailleurs un des miroirs convexes employés par Rossetti et un autre par William Orpen. Et il semble bien que le miroir ait inspiré pendant longtemps les artistes anglais puisque, aux cimaises de la Tate par exemple, on peut voir des toiles de William Orpen (The Mirror, 1900), Mark Gertler

(Still Life with Self-Portrait, 1918), ou Charles Haslewood Shannon, intégrant le miroir dans des natures mortes ou des autoportraits.
Enfin, les pré-raphaélites empruntent aussi à Van Eyck la surabondante présence de symboles. Le délicieux petit chien, symbole de la fidélité, les oranges, celui du paradis, la flamme unique au-dessus des têtes, le drapé rouge du lit ou la lumière renvoyée par le métal, on retrouve tout cela et même la paire de sandales en bois, posée à l’avant-plan chez Van Eyck aussi bien que chez Hunt (The Lady of Shalott).
On quitte vraiment à regret cette exposition construite sur les échos, les résonances, les réseaux et les reflets, où chaque coïncidence d’une œuvre avec les autres s’explore, pour mieux faire sens.
*Commissaires : Susan Foister, Directrice et Curatrice de la section “ Early Netherlandish, German, and British” à la National Gallery et Alison Smith, Curatrice en chef du “British Art jusqu’à 1900″ à la Tate. https://www.nationalgallery.org.uk/about-us/press-and-media/press-releases/reflections-van-eyck-and-the-pre-raphaelites
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