Pratique de l’art selon Tápies

Il vous reste jusqu’au dimanche 7 janvier pour aller voir l’exposition que Bozar consacre à Tápies. Le nom de Tápies ne laisse personne indifférent. On l’adore ou on l’abhorre, pour de multiples raisons, personnelles, artistiques ou autres. Mais l’exposition proposée à Bozar porte un sous-titre généraliste, La pratique de l’art (expression tirée de la première compilation des écrits de Tápies, datant de 1970). Ceci devrait inciter tout qui se questionne sur le sens d’une pratique artistique, à venir se plonger quelques instants dans le parcours de création montré ici.

En effet, si les débuts du peintre (auto-didacte !)  sont tout à fait hyperréalistes comme en témoigne le petit autoportrait qui ouvre l’exposition, très vite l’artiste intègre dans son travail des éléments discordants comme des déchirures, des symboles, des calligraphies ou des graffitis. Et l’on sent malgré tout, encore, l’influence surréaliste aussi bien que celle de Miró ou  de Max Ernst.

Progressivement, et surtout à partir de 1953, Tápies se détourne de la représentativité ou de l’iconographie surréaliste pour voir dans la toile un « mur » brut, sur lequel il peut laisser s’exprimer les marques du passage du temps, couches superposées, marques, griffure ou perforations (Gris avec cinq perforations), le tout dans des tons d’ocre, de brun (Marron avec empreintes)  ou de gris. Cette période l’amènera vers la phase dite «  matiériste » qui va lui apporter la consécration.

Son obsession de la matière l’amènera à tester de nouveaux effets en utilisant du papier, du carton, des collages, sur lesquels il pratique le grattage plutôt que la pose de matière, comme si le support lui-même contenait le sujet, faisant en cela éclater les frontières de l’œuvre picturale. La découpe et le fragment deviennent des clés pour comprendre son travail

A partir de 1960, les expositions s’enchainent. Et au milieu de la décennie, à nouveau Tápies réinterroge sa pratique en insérant sur la toile des objets extérieurs. « Il y a parfois dans mon œuvre », écrit-il en 1967, « un hommage aux objets insignifiants (…) La main de l’artiste n’est intervenue pour ainsi que pour les recueillir et les sauver de l’abandon (…) ».

C’est aussi la période où le corps fait son apparition dans l’œuvre de Tápies, avec une focalisation sur certaines parties (Matière en forme d’aisselle ou La langue) tout comme,  à partir de 1966, la politique. La mobilisation contre le franquisme devient centrale dans la production, de façon explicite ou pas. Des textes théoriques viennent appuyer son travail, dont la compilation en 1970, citée plus haut.

La décennie 80 le verra choisir de grands formats, le « mur » est toujours bien présent mais le signe est plus léger, l’objet moins omniprésent et le vernis fait son apparition, donnant une nouvelle possibilité de faire vivre les taches, les raclures et autres éléments jusque là informes. Le trait de pinceaux, léger réapparaît pour tracer des symboles ou des signes.

Ses dernières années seront plus mélancoliques, touchées par l’angoisse de la mort mais aussi par l’effondrement des utopies qui avaient portés sa réflexion politique et artistique  jusque là.

Ce qui  me frappe et m’interpelle  dans l’ensemble de ce travail, ininterrompu jusqu’à la mort de Tápies en  2012, c’est la constance avec laquelle il s’interroge. Sur la matière. Sur la liberté d’expérimentation. Sur l’implication  politique qui se doit d’être figurée. Sur le sens du geste artistique. Sur sa place dans le monde, dans la philosophie, dans une vision du monde. Sur la continuité de l’œuvre. Sur les choix posés. Toute personne voulant un tant soit peu, justement, poser un acte artistique ne peut qu’être fascinée par l’onde de choc que ce simple geste suppose. Pour imposer sans cesse à l’esprit, qui guidera la main, une vigilance et une quête de pensées neuves.

Un questionnement incessant comme principe de création et de cohérence intérieure.

Inspirant.

L’artiste doit tout inventer ; il doit se lancer à corps perdu dans l’inconnu, rejetant tout préjugé, y compris (…) l’étude des techniques et l’emploi des matériaux considérés comme traditionnels.
Antoni Tápies

En collaboration avec la Fundació Antoni Tápies de Barcelone et le Museo nacional Centro de arte Reina Sofía de Madrid. Commissaires: Manuel Borja Villel et Christel Tsilibaris.

L’instant confondant

(Photo A. Haut)

 

Cabestany serait restée une obscure petite ville de quelques milliers d’habitants à mi-chemin entre Perpignan et Collioure si, en 1930, on n’avait mis au jour, dans son église, des sculptures romanes de toute beauté. Le Maître de Cabestany est un exceptionnel sculpteur anonyme de la seconde moitié du 12ème qui travaillait dans un atelier d’artisans de la pierre. Leurs œuvres se retrouvent de Carcassonne à Barcelone et même en Italie, probablement sur le parcours du pèlerinage à Compostelle.

Pourtant, si je me suis retrouvée un dimanche matin, en pleine chaleur déjà, au Centre de sculpture romane de Cabestany – dont la scénographie est, par ailleurs, excellente et originale, d’une modernité étonnante -, ce n’était pas pour voir les sculptures du Maître mais une exposition de photos car le Centre, dirigé par une mairie particulièrement dynamique, propose des expositions dont les sujets abordent autant le Moyen âge que l’art contemporain.

Steve Drevet et Romaric Mandelblat sont enseignants. Et tous deux fumeurs. Ce détail n’est pas sans importance puisque leur légende* raconte que c’est au fumoir du Lycée de Perpignan où ils enseignent le français et l’histoire-géo qu’ils se sont rencontrés ! Et qu’ils se sont découvert une passion commune : la composition de complexes natures mortes évoquant les tableaux de grands peintres comme Chardin, Vermeer, les maîtres baroques ou les orientalistes, qu’ils photographient ensuite sans retouche ni logiciel. Leur obsession majeure déclarée est ce qu’ils nomment « le chemin de lumière » qui permet à l’œil de circuler parmi la composition. Bernard Gout, artiste renommé dans la pratique de trompe l’œil, vient ajouter une patine ancienne dans les fonds.

Ce qui m’a totalement séduite dans ce travail, c’est qu’il y a toujours dans la composition extrêmement travaillée, une intention, un propos. Il s’agit ici de se référer à la catalanité. Tous les produits mis en scène sont catalans, du citron à la rousquille, de la vigatane au cantir**, des escargots aux abricots et des cerises de Céret aux petits croquants (sans oublier les boles de Picolat!). Les objets sont anciens, régionaux et chinés au hasard des vides-greniers. Dans la  mise en espace, rien n’est laissé au hasard, et le champignon, le grain de raisin ou la noisette que l’on pourrait croire oubliés au coin du tableau ne sont là que pour fournir à l’œil les points d’ancrage de la composition.

Ainsi l’intelligence et la finesse minutieuse de la démarche m’ont enthousiasmée. Il s’agit pour Steve Drevet et Romaric Mandelblat de situer les compositions sur cet instant ténu – indécis – où le regard hésite entre l’œuvre peinte et la photographie. La tentation est très grande de les faire désormais basculer vers la toile.

 

« L’instant indécis, entre peinture et photographie« , au Centre de sculpture romane de Cabestany jusqu’au 25 juin 2017 mais aussi sur www.instantindecis.com

*Voir l’article de Catherine Betti, Un petit théâtre d’ombres et de lumières, in Terres catalanes, n° 87, mars – mai 2017.
** Les vigatanes sont les chaussures en cordes avec lesquelles on danse la sardane et le cantir est le mot catalan qui désigne une cruche, généralement en métal.

 

 

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Jado expose en solo

Pendant trois jours, Jado présentera une trentaine d’oeuvres originales chez Les Apéros de Philomène  à la Ferme du Passavant (Chaussée de Bruxelles 60 – 1472 Genappe).

Vernissage vendredi 9 juin 2017 de 19.00 à 22.00
Exposition  samedi 10 juin de 13.00 à 19.00 et dimanche 11 juin de 11.00 à 16.00

Merci de confirmer votre présence au vernissage par mail à dominique.jacqmart@skynet.be.