Rendre vie à la nature morte

En soi, le concept de ce que nous désignons en français par l’expression « nature morte » remonte à la nuit des temps. Si l’on considère, avec le musée du Louvre, que « sous le terme de nature morte sont désignées des compositions d’objets inertes ou de repas servis et la représentation de  l’univers domestique lié à la cuisine, aux vivres, puis au repas constitué » 1, alors un artiste des cavernes qui dessine la proie abattue, ne fait-il pas une « nature morte » ? Et dans la Grèce et la Rome antiques certaines fresques peintes en trompe l’œil étaient si réalistes que les oiseaux s’y trompaient et venaient picorer les grains de raisins peints. Et que dire de Pompéi où les trompe-l’œil représentant des fruits ou des volailles comportent déjà des ombres portées ? Mais c’est surtout dans l’Italie du XIVème et dans la Flandre du XVème que la peinture d’objets du quotidien se développe pour s’imposer en France au XVIème.

Le genre se cherche alors un nom. C’est d’abord l’italien Vasari qui le nomme, « cose naturali », avant de voir apparaître en Flandre le mot « stillleven », vers 1650. On retrouve aussi cette idée de « vie immobile » dans l’allemand «Stilleben » ou l’anglais « still life » ou « still life printing ». Au XVIIème en France on parle surtout de tableaux de la « vie coye », la vie tranquille, autre sens attesté d’ailleurs de l’adjectif still anglais. Au XVIIIème le philosophe Diderot parle de « nature inanimée » mais c’est pour caractériser le travail de Chardin que l’expression « nature morte » est utilisée en 1756. Certains critiques ont tenté – en vain – de défendre la formule « nature silencieuse », interprétation autorisée par une extension poétique des sens « immobile » et « tranquille » du mot still et que l’on retrouve d’ailleurs, aujourd’hui, en arabe dans l’expression laouhia zeitia « tabia samita » qui signifie tableau de « nature muette ». L’espagnol, quant à lui, se démarque en nommant ces compositions par le mot « bodegón » qui désigne les ingrédients placés à l’entrée de la cave, la bodega, lieu de rangement par excellence des aliments et des ustensiles de cuisine.

Pendant longtemps, les compositions de fruits, poissons, fleurs, salaisons ou autres éléments de repas, dites en « nature morte », comporteront aussi une dimension symbolique, quasiment moralisatrice, religieuse presque : il s’agissait de montrer le périssable, le corruptible, l’accumulation orgueilleuse, la vanité frivole, la gourmandise…

Aujourd’hui, en dehors peut-être de certaines installations très clairement liées à une critique de la société de surconsommation, les compositions de fruits, de fleurs, de macarons, de cupcakes, de bonbons ou de verre de vin entrent  plutôt dans l’esthétique décorative que dans l’illustration de l’inanité d’une accumulation insensée.

En tout cas, silencieuse, calme, tranquille, muette ou même inanimée tout conviendrait mieux pour cette nature peinte que « morte ». Et, comme me le proposait un ami, très distingué angliciste,  pourquoi ne pas faire des variations sur les différents sens du mot « still » et considérer que « there is still life in a still life-painting ».  Ce qui nous autoriserait à parler de nature « encore vivante ».

Parce que ressuscitée et sublimée par le regard et l’art du peintre.

 

http://www.louvre.fr/routes/nature-morte

Texte soumis à la loi sur la reproduction. Autorisation à demander à amelie.haut@gmail.com

 

Une réflexion au sujet de « Rendre vie à la nature morte »

  1. Cet article relève d’une profonde réflexion de peintre ,qui contrairement aux artistes du XVII ème siècle, peut « immortaliser  » sa composition afin de la peindre, évitant ainsi une évolution des matières. … car le sujet est toujours bien « vivant »….

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