Probablement ne serais-je jamais allée voir l’exposition Spectaculaire Second Empire, proposée par le Musée d’Orsay à Paris jusqu’au 15 janvier 2017. Je connais très mal cette période (1852-1870) et j’y associais l’image de l’empire autoritaire décadent que Victor Hugo pourfend. Par ailleurs, bien que la littérature soit ma passion première, je ne liais que de loin les noms de Théophile Gautier, Leconte de Lisle, Verlaine, Baudelaire, ou même Gustave Flaubert à cette époque. Et pourtant, Madame Bovary paraît en 1857 ! Quant à Zola, il donné une vision si critique de ce temps qu’il n’incitait absolument pas à la découverte historique. Mais Denis Laoureux* recommandait la visite de l’exposition et la classait parmi celles qu’il verrait lui-même cet automne… Alors, puisque je me rendais à Paris, j’y suis allée et avant tout – je l’avoue – pour y confronter mes toutes nouvelles connaissances en matière de médiation de l’œuvre d’art**.
Pour un peu, je dirais qu’il s’agit là d’un modèle parfait d’illustration de la façon dont l’exposition est médiation. La dernière grande exposition sur le Second Empire date de 1979. Il y avait donc matière à faire et ce d’autant plus que l’époque est désormais revisitée. C’en est fini de la dichotome réductrice de l’empire autoritaire versus l’empire libéral, et de multiples études ont, semble-t-il, mis en évidence la nécessité de regarder ces 18 années d’un œil neuf, non pas pour les réhabiliter mais pour redécouvrir toute leur ambiguë richesse et la société en pleine mutation qu’elles ont générées : boom des chemin de fers, boulevards haussmanniens où s’ouvrent les premiers grands magasins, ascenseurs, prêt à porter, libre-échange, etc. . Donc, pas de linéarité historique dans cette exposition. Au contraire, il faut « raconter » à nouveau l’époque, montrer sa profusion dans tous les domaines – architecture, peinture, sculpture, bijouterie, littérature, spectacle, musique et autres –, la fête perpétuelle et la mise en scène du pouvoir consciente . Le très raffiné Second Empire doit être « splendide », pour reprendre l’adjectif utilisé par Flaubert lui-même!
Loin de la boite blanche, les commissaires Yves Badez, Paul Perrin et Marie-Paule Vial ont opté pour une scénographie variée qui tantôt, en trompe l’œil noir et blanc, figure la chambre d’un château, tantôt reproduit l’accrochage du Salon ou encore révèle, dans une lumière presque tamisée comme si l’on pénétrait dans la grotte d’Ali Baba, l’abondance d’un pavillon des expositions universelles de 1855 ou 1867. Des portraits d’aristocrates, de grands bourgeois ou d’intellectuels disent leur époque et, dans des vitrines, leur font écho les portraits photographiques, très en vogue à l’époque, conçus parfois comme de vraies compositions picturales et qui pouvaient servir de supports aux artistes. Bref, Spectaculaire Second Empire, qui porte parfaitement son titre, « montre et démontre »* incontestablement comment une exposition parvient à rendre compte d’une époque et à relire sa modernité. J’en suis sortie fascinée autant qu’éblouie.
Face à cette scénographie de la profusion, la mise en espace de l’exposition Henri Fantin-Latour, à fleur de peau, (et, là aussi, le titre est parfait !), proposée par le Musée du Luxembourg jusqu’au 12 février 2017, relève presque de la cellule monacale. Au fil des cinq salles, peintes sobrement en noir ou bordeaux, se succèdent les œuvres de ce que les commissaires Laure Dalon, Xavier Rey et Guy Tosatto identifient comme les cinq grandes époques de la production de Fantin-Latour (1836-1904) depuis ses premières toiles (refusées au Salon !) jusqu’à ses œuvres symbolistes où, acceptant de donner libre cours à son imagination, il avoue se faire enfin « plaisir » !
Je ne peux que conseiller à ceux qui voudraient visiter cette exposition d’aller d’abord passer un long moment au musée d’Orsay dans Spectaculaire Second Empire. En effet, on trouvera là toutes les clés pour comprendre le travail de Fantin-Latour dont l’œuvre est largement influencée par l’époque : portraits et portraits de groupes, hommages musicaux, passion pour la photographie dont les modèles nus l’inspireront au point de constituer un exceptionnel fonds conservé au Musée de Grenoble…
Bien sûr, on ne peut pas parler de Fantin-Latour sans évoquer aussi ses centaines de natures mortes, qu’il considérait comme une simple source de revenus malgré l’extraordinaire succès qu’elles connaîtront en Angleterre. Relativement peu connues en France à l’époque, elles sont aujourd’hui une des « marques de fabrique » de Fantin-Latour et la douzaine rassemblées ici sont très bien mises en valeur par un éclairage parfait qui leur confère un éclat particulier et rend hommage à la recherche passionnée du peintre : « faire croire à aucun effet artistique » !
- *Laoureux, Denis. L’art et ses médiations, Cours de l’Université libre de Bruxelles. Bachelier en histoire de l’art et archéologie, orientation générale – Poursuite de cursus – Option Art contemporainAnnée académique 2016-2017.
- **Voir l’article publié sur ce blog « Langage de l’exposition »
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