Le 11 mars 2017, à la Foire du Livre de Bruxelles, Daniel Bernard* a présenté son dernier livre dans une conférence passionnante – annoncée sur ce blog – consacrée à L’histoire extraordinaire d’une couleur : ce bleu qui a conquis l’Europe, au cours de laquelle il a expliqué à un public nombreux et conquis, pourquoi le bleu est une couleur tout à fait particulière puisqu’elle n’existe pas vraiment comme telle dans la nature.
Les premiers artistes de l’art pariétal** n’utilisent pas de bleu. Ils connaissent le rouge, l’ocre, le noir et même le vert mais n’ont pas la maitrise de ce bleu qu’ils observent dans le ciel et sur la mer et qu’ils rêvent de s’approprier. Ainsi, dans leur esprit, le bleu du ciel, inaccessible et qui tourmente leur esprit, devient une couleur divine et le mouvement des nuages ne résulte que du souffle d’un dieu. Maitriser le bleu symbolise donc une manière de rejoindre les dieux. Dès 2500 avant Jésus Christ, des recherches se font en ce sens. Chez les Egyptiens, le mélange de sable, silice et cuivre cuit dans des fours en pierre donne le bleu égyptien dont se couvriront les pharaons pour se diviniser. Au sable et à la silice, les Perses ajouteront le cobalt qui donnera le bleu de Samarcande, les Chinois créeront le bleu de Han grâce au baryum et les Mayas enduiront leur victimes de sacrifices, pour apaiser les dieux, d’un bleu du Yucatan, mélange d’argile blanche et de feuilles d’indigo.
Mais le bleu ne franchit toujours pas les frontières de l’Europe des croisades face à laquelle se dressent les étendards verts des mamelouks et des tribus fatimides, ce vert qui unifie, rallie contre l’ennemi et donne la force de la cohésion. trouver une couleur qui soit, elle aussi, le signe de ralliement de l’Europe s’impose au plus vite. Innocent IV (1180/90 ? – 1254) penche d’abord pour le blanc de la pureté mais il finit par rejoindre les enseignements de Suger***, l’abbé de Saint Denis, qui considérait le bleu comme la véritable couleur divine puisque Dieu est lumière et que la lumière est bleue. Ainsi apparaît le bleu roi ou bleu marial qui, jusqu’à aujourd’hui, va fédérer l’Europe. Et finira par être la couleur de son drapeau.
Initialement et jusqu’à la fin du 15ème siècle, le bleu sera produit à partir d’une plante, la guède, massivement cultivée dans le triangle formé par Toulouse/Albi/Carcassonne et dont les feuilles macérées sont agglomérées sous forme de coques ou cocagnes, que l’on fait sécher. A partir de ces cocagnes est produite une pâte bleue ou pastel. D’où le mot pastel actuel désignant ces bâtonnets de toute couleur composé de poudre compactée, et l’expression « pays de Cocagne » pour désigner la région de production, extrêmement riche puisque le pastel ou bleu de Toulouse vaut, à l’époque, plus cher que l’or.
A partir de 1492, l’équilibre du monde change et les routes commerciales deviennent maritimes. Il faut acheminer le pastel vers Bruges et Anvers et c’est le bleu qui trace le chemin à l’occasion des étapes où le pastel s’échange contre d’autres produits. C’est ainsi que, le long de la façade atlantique de la France, fleurissent des maisons peintes en bleu ! En effet, le pastel, chargé de répulsif (l’urine !), se révélait très utile pour écarter les moustiques !
Peu à peu, le pastel de Toulouse sera remplacé par l’indigo, dont le traitement est plus aisé. Historiquement, l’indigo es un arbuste originaire d’Inde qui a voyagé au long de la route de la soie pour atteindre Constantinople et même la Grèce. Mais désormais ce sera l’indigo américain qui arrivera directement en Europe par l’océan ! Le pastel sera définitivement remplacé avec l’arrivée des colorants chimiques à la fin du 19ème siècle.
Aujourd’hui, en raison du regain d’intérêt pour les produits naturels et de notre méfiance toujours plus grande à l’égard de la chimie, on assiste à un retour du bleu naturel : pastel pour des bleus clairs, indigo pour des bleus plus foncés…
*BERNARD, Daniel, (2016) La route de l’or bleu, La découvrance, La Rochelle.
**Art pariétal, du latin parietalis, « relatif aux murs », aux parois, désigne l’ensemble des œuvres d’art réalisées sur des parois de grottes.
*** L’Abbé Suger (1081 -1151), se consacre à la reconstruction de l’abbaye de Saint Denis qui devient un monument symbolique dont l’architecture prestigieuse est à l’image du royaume capétien en pleine expansion et le modèle du nouvel art gothique. La réalisation du chevet lumineux édifié de 1140 à 1144 est liée à une conception théologique de la lumière. (In VERDIER, « SUGER (1081-1151) », Encyclopædia Universalis [en ligne], http://www.universalis.fr/encyclopedie/suger/)
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