Visiter à trois jours d’intervalle deux expositions aussi différentes que le Clair-obscur de Pierre et Gilles* au Musée d’Ixelles et la Rétrospective Rik Wouters** aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique relève d’une étonnante expérience. Une sorte de grand écart à la fois temporel, artistique, et… mondain car si les toiles de Pierre et Gilles se regardaient dans une espèce de silencieux confort ouaté atemporel et quasiment mystique, la foule qui se pressait pour voir les œuvres de Wouters était dense, bruyante, comme en représentation.
Il est clair que les artistes tout à fait contemporains – ils ont commencé leur travail dans les années 1980 – que sont Pierre et Gilles ne produisent évidemment pas leurs œuvres dans le même contexte artistique que Rik Wouters, né en 1882 et prématurément mort en 1916 à l’âge de 33 ans. Catalogué comme « fauviste brabançon » Wouters est marqué par les toiles de Gauguin, Ensor ou Renoir ; il livre de fulgurantes compositions impressionnistes et colorées. Andy Warhol étant passé par là, Pierre et Gilles, par ailleurs embarqués sur la vague pop rock disco, se consacrent à photographier des portraits qui sont ensuite repeints et retraités comme des toiles. Ici aussi, la couleur fuse mais elle est saturée, vive, directe, pleine de paillettes.
Ce qui m’a réellement frappée en visitant ces deux expositions, c’est l’évidence qu’un projet artistique global sous-tend les travaux.


Chez Rik Wouters, il s’agit de construire – littéralement – autour de Nel, sa femme-muse et principal modèle, des compositions toujours plus fluides, dont on a le sentiment que le vide laissé sur la toile l’emportera, et dans lesquelles le traitement de la peinture (diluée ou traitée au couteau), l’effacement des traits et l’espace pictural ouvert (par les fenêtre, les miroirs, les mises en abimes)
annoncent les recherches sur la décomposition du réel qui vont suivre.
Chez Pierre et Gilles, dès les premiers portraits en 1980, il y a une volonté de travailler sur l’image, de la construire – là encore littéralement -, de la maitriser et de la magnifier dans des décors sublimés , tout en y laissant des traces personnelles : les larmes des poulbots sur les cartes postales de notre enfance, le port du Havre, le corps, la mise en scène de soi-même… et du couple. Un conseil : passez d’abord par la mezzanine et découvrez les œuvres des années 80 ainsi que tous ces objets inspirant rassemblés dans des vitrines. Ils humaniseront l’œuvre et lui donneront une dimension humaine que les décors et les encadrements sur-travaillés oblitèrent souvent.
La question est cruciale: comment trouver un sens à sa production artistique, lui donner un véritable langage? Le sentiment que ces artistes ont trouvé leurs réponses était prégnant à l’issue des deux visites.
*Jusqu’au 14 mai. Commissaire Sophie Duplaix, du Centre Pompidou. De nombreuses activités organisées (www.museedixelles.be) dont Meet the artist, à 20h15 le 18 avril avec Pierre et Gilles, sur réservation (02 641 10 20), 11 euros .
** Pour la première fois les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique et le Musée Royal des Beaux-Arts Anvers rassemblent leurs collections d’œuvres de Rik Wouters en une rétrospective la plus importante jamais organisée. A signaler : un atelier créatif au cœur de l’expo où chacun peut produire une œuvre personnelle ! Toutes les activités sur http://www.fine-arts-museum.be
Ce texte est soumis à la loi sur la reproduction. Autorisation à demander à amelie.haut@gmail.com