Du magasin pour artistes à la quincaillerie

Je ne comptais pas visiter l’exposition consacrée à Pol Bury (Bozar) mais puisque la section bruxelloise des anciens étudiants de l’Université de Liège, dont je fais partie, avait mis cette visite au programme, je m’y suis laissé conduire. Je n’avais aucun a priori, ne connaissant de Pol Bury que quelques sculptures comme les cylindres en acier inoxydables, fixés au plafond de cette station de métro bruxelloise, censés bouger avec les mouvements de l’air déclenchés par le passage des rames mais dont on a l’impression qu’ils ne bougent pas le moins du monde. Bien m’en a pris car j’ai été enthousiasmée par la découverte de la cohérence interne d’une œuvre pensée par un artiste guidé par un projet intellectuel.

Ce qui m’a franchement interpelée dès le début de la visite (excellemment guidée, par ailleurs) c’est d’avoir ignoré si longtemps que Pol Bury était hainuyer (je le croyais français !), né à La Louvière en 1922, et qu’il s’était formé (brièvement) à l’Académie des Beaux-Arts de Mons. Son père, technicien automobile, va l’initier, dès la petite enfance, à la beauté de la mécanique d’un moteur, le cœur du mouvement caché sous une carrosserie certes esthétique mais en fin de compte inutile. Ceci explique peut-être cela !

Lié d’abord au Surréalisme et à Magritte, il quitte le mouvement pour rejoindre Cobra, ce que Magritte ne lui pardonnera jamais. Mais très vite, là encore, il s’éloigne parce que, dit-il, « mon séjour chez Cobra m’a fait découvrir que les groupes étaient utiles à condition d’en sortir ». En 1950, à Paris, il visite l’exposition que la Galerie Maeght consacre à Calder. C’est une sorte de révélation qui le pousse à quitter la peinture pour créer ses premières œuvres mobiles que le spectateur est invité « à toucher » pour faire naître de nouvelles compositions. En 1953, dans un manifeste qu’il co-signe avec d’autres artistes, Le Spatialisme, il définit l’art dans une perspective « spatialiste ». Les trois axes sur lequel toute son œuvre va se construire y sont clairement définis : le temps, la durée, le mouvement. A partir de 1955, il est définitivement considéré comme un pionnier de l’art cinétique. En 1959, il trouve une forme personnelle. Ce sont les Ponctuations qui ouvrent cette période : des plaques perforées qui bougent devant une source lumineuse, des fils de nylon qui de balancent comme les algues sous la mer ou des plaquettes de métal agitées dans une lenteur aléatoire et qui, parfois, produisent des sons (Sculptures à cordes).

A partir des années soixante, et le succès de ses expositions Outre Atlantique, il pensera longtemps s’installer New York mais, sous l’amicale pression du galeriste Aimé Maeght, il optera pour Paris (sans jamais envisager le retour en Belgique, semble-t-il). C’est là qu’il réalise des meubles bien éloignés du concept de meuble tel que nous l’entendons. Il passera ensuite au métal. (Copyright A. Haut pour toutes les photos.)

Ce que j’ai trouvé passionnant dans cette exposition, c’est que l’on voit à quel point toute l’œuvre – bijoux, gravures, sculptures monumentales ou publiques – est sous-tendue par une réflexion, jamais démentie, toujours affinée, appuyée sur la forme géométrique comme la boule, élément présent dès le début dans son imaginaire d’artiste, le cube ou la pyramide, et le temps. Il ne s’agit pas seulement de montrer, par le mouvement, son passage, évidemment inexorable, mais d’y ajouter l’extrême lenteur qui impose la sérénité, la zénitude. Imposer la patience au regard, donc à l’esprit. Imposer l’immobilité pour apercevoir le mouvement et signifier, par le mouvement, l’exact inverse du mouvementé. Figer pour démultiplier. Surprendre pour apaiser.

 

Il faut s’habituer à ce qu’il ne ressemble à rien, il n’est autre chose que lui-même, une chose incongrue qui n’était pas avant d’être inventée par Bury. C’est une forme nouvelle. Ce n’est pas un objet nommable. C’est une intrusion de l’ailleurs dans l’ici.
Eugène Ionesco

A Bozar jusqu’au 4 juin 2017.

Ce texte est soumis à la loi sur la reproduction. Autorisation à demander à amelie.haut@gmail.com

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